4 avril 2001
Buenos Aires, Argentine

22

Tous les grands opéras du monde sont jugés, par les chanteurs et les musiciens, en fonction de leur acoustique, de la qualité du son qui passe de la scène aux loges et aux galeries, tout en haut, au paradis. Les amateurs d’opéra qui achètent leurs billets les classent et les admirent plutôt pour leur élégance et leur éclat. Certains sont célèbres pour leur allure baroque, d’autres parce qu’ils sont pompeux, quelques-uns pour leurs ornements et leurs guirlandes. Mais aucun ne peut être comparé à l’extraordinaire grandiloquence du Teatro Colon, sur l’Avenida 9 de Julio, à Buenos Aires.

On avait commencé sa construction en 1890 et on n’avait pas regardé à la dépense. Achevé à l’époque où Puccini régnait en maître, en 1908, l’opéra Teatro Colon occupe tout un pâté de la ville. Mélange ensorcelant d’art déco français, de Renaissance italienne et de classicisme grec, sa scène a servi d’écrin à la Pavlova et à Nijinski. Toscanini y a dirigé l’orchestre depuis son podium et toutes les plus belles voix du monde, de Caruso à la Callas, y ont donné des représentations.

La salle en fer à cheval est décorée pour étonner l’œil. Les balustrades sont faites de motifs compliqués en bronze, les gradins décorés de chaises de velours et de rideaux de brocart or, le plafond peint de chefs-d’œuvre. Les soirs de premières éblouissantes, l’élite de la société argentine se pavane du foyer en marbre d’Italie et au magnifique dôme de vitraux jusqu’à l’extraordinaire escalier éclairé par des lustres pour regagner les sièges luxueux et réservés.

Toutes les places de la salle étaient occupées une minute avant l’ouverture du Couronnement de Poppée, de Claudio Monteverdi, à part la loge principale, à la droite de la scène. Celle-ci était encore vide. Poppée avait été la maîtresse de l’empereur Néron aux heures de gloire de Rome et pourtant, les chanteurs portaient des costumes du dix-septième siècle et, pour retourner encore le couteau dans la plaie, tous les rôles d’hommes étaient chantés par des femmes. Pour certains amateurs d’opéra, c’était un vrai chef-d’œuvre. Pour les autres, quatre heures d’ennui.

Quelques secondes avant que baissent les lumières de la salle, pénétra discrètement dans la loge restée vide un groupe composé d’un homme et de quatre femmes qui s’assirent sur les chaises de velours bordeaux. Invisibles derrière les rideaux se tenaient deux gardes du corps en alerte, élégamment vêtus de smokings. Dans la salle, tous les yeux – et même une paire de jumelles – se tournèrent automatiquement vers les gens qui s’installaient là-haut.

Les femmes étaient éblouissantes, non pas jolies ou exotiques, mais magnifiques au sens le plus classique. Toutes les quatre avaient des cheveux blond clair coiffés en longues boucles tombant sur leurs épaules nues et un chignon natté au sommet de la tête. Elles se tenaient comme des reines, leurs mains délicates sagement posées sur les genoux, et regardaient la fosse d’orchestre. Leurs yeux gris-bleu, semblables, avaient l’intensité d’un rayon de lune sur l’aile d’un corbeau. Elles avaient de hautes pommettes et un teint bronzé comme après un séjour passé à skier dans les Andes ou à prendre le soleil sur un yacht ancré au large de Bahia Blanca. On leur aurait donné vingt-cinq ans à toutes les quatre alors qu’elles en avaient trente-cinq. On comprenait aisément qu’elles étaient sœurs. En fait, ces quatre-là venaient d’une nichée de sextuplées. Leurs robes montraient assez de leur silhouette pour qu’on distingue qu’elles étaient sveltes et en bonne santé, grâce à des exercices physiques laborieux.

Leurs longues robes de soie chatoyante garnies de renard étaient identiques sauf pour les couleurs. Assises en demi-cercle dans la loge, elles irradiaient comme des pierres précieuses, jaune, bleu, vert et rouge. Des joyaux scintillaient à leurs cous, à leurs oreilles et à leurs poignets, rappelant la couleur de leur vêtement. Sensuelles et provocantes, elles avaient quelque chose de déesses intouchables et éthérées. Bien que cela fût impensable, elles étaient toutes mariées et chacune avait donné naissance à cinq enfants. Ces femmes assistaient à l’ouverture de la saison d’opéra comme à une réunion de famille, adressant de gracieux signes de tête et des sourires à l’homme assis près d’elles. Raide comme un parapluie, celui-ci avait les cheveux et les yeux de la même couleur que celle de ses sœurs, mais là s’arrêtait la ressemblance. Aussi bel homme qu’elles étaient étourdissantes, mais de façon plus irrégulière, sa taille et ses hanches contrastant avec des épaules de bûcheron et des muscles d’haltérophile. Il avait un visage carré, un menton coupé d’une fente ressemblant à une fossette, un nez droit et d’abondants cheveux blonds dans lesquels les femmes rêvaient de passer leurs doigts. Il était grand – avec son mètre quatre-vingt-quinze, il dominait ses sœurs de quarante bons centimètres.

Quand il se tourna pour leur parler, son sourire découvrit des dents blanches et brillantes. Sa bouche était si amicale qu’il paraissait impossible qu’il puisse faire une grimace. Le regard, cependant, n’exprimait aucune chaleur. On aurait dit une panthère fouillant les herbages à la recherche d’une proie.

Karl Wolf était un homme très riche et très puissant qui dirigeait l’empire financier de sa famille, allant de la Chine à l’Atlantique -en passant par l’Inde et l’Europe –, du Canada et des États-Unis au Mexique et à l’Amérique du Sud. Sa fortune personnelle était estimée à bien plus de cent milliards de dollars. Son vaste conglomérat, engagé dans une multitude de programmes scientifiques de haute technologie, était célèbre dans le monde des affaires sous l’appellation des Destiny Enterprises Ltd. Contrairement à ses sœurs, Karl était célibataire.

Wolf et les autres membres de sa famille auraient pu facilement se glisser dans la nouvelle société des célébrités argentines. Il était raffiné, confiant et florissant. Pourtant, il vivait simplement, comme les siens, si l’on considérait leur immense fortune. Cependant, la dynastie des Wolf, qui comptait plus de deux cents membres, apparaissait rarement dans les restaurants à la mode ou les réunions de la haute société. On ne voyait presque jamais les femmes dans les boutiques chic et les magasins sélects autour de Buenos Aires. À part Karl, qui se faisait une obligation de largeur d’esprit, la famille demeurait discrète et mystérieuse aux yeux des Argentins. Ils ne se liaient pas d’amitié avec des étrangers. Personne, pas même les célébrités et les hauts fonctionnaires du gouvernement, n’avait jamais pénétré la carapace de la famille Wolf. Les hommes qui avaient épousé les filles de la famille semblaient ne venir de nulle part et n’avaient pas d’histoire personnelle. Étrangement, ils avaient adopté le nom de la famille. Tout le monde, du premier-né au dernier marié, portait le nom de Wolf, qu’il soit un homme ou une femme. Ils formaient une élite fraternelle.

Quand Karl et ses quatre sœurs se montraient à une soirée d’ouverture de la saison d’opéra, c’était un événement de première importance pour la haute société.

L’ouverture s’acheva et le rideau se leva. Les spectateurs tournèrent à regret leur attention vers la scène, se détachant de la contemplation du frère et des sœurs, resplendissants dans leur loge.

Maria Wolf, assise à la gauche de Karl, se pencha et murmura :

— Pourquoi dois-tu nous soumettre à une telle épreuve ? Wolf se tourna vers elle en souriant.

— Parce que, ma chère sœur, si nous ne montrions pas la famille de temps en temps, le gouvernement et le public pourraient commencer à penser que nous ne sommes qu’une vaste conspiration au cœur d’une énigme. Il vaut mieux faire une apparition occasionnellement pour leur montrer que nous ne sommes pas des extraterrestres cherchant en secret à contrôler le pays.

— Nous aurions dû attendre que Heidi revienne de l’Antarctique.

— Je suis d’accord, murmura Geli, assise à la droite de Wolf. C’est la seule qui aurait apprécié cet opéra rasoir. Wolf tapota la main de Geli.

— Je la consolerai la semaine prochaine quand on donnera La Traviata.

Ils ignorèrent les regards du public, partagé entre l’envie d’observer la riche famille Wolf et les acteurs et chanteurs. Le rideau venait de se lever sur l’acte III quand un des gardes du corps s’approcha et murmura quelque chose à l’oreille de Wolf. Celui-ci se raidit sur sa chaise et son expression devint grave. Il se pencha et dit doucement :

— Mes chères sœurs, une urgence m’oblige à m’en aller. Restez ici. J’ai réservé un salon privé au Plaza Grill pour un petit souper après le spectacle. Allez-y, je vous rejoindrai plus tard.

Les quatre femmes se tournèrent vers lui et le regardèrent avec une inquiétude contrôlée.

— Peux-tu nous dire de quoi il s’agit ? demanda Geli.

— Nous aimerions savoir, ajouta Maria.

— Quand je le saurai, vous le saurez aussi, promit-il. Pour le moment, amusez-vous.

Wolf se leva et quitta la loge en compagnie d’un des gardes du corps tandis que l’autre restait devant la porte. Il se hâta de gagner une sortie latérale et monta dans une limousine, une Mercedes Benz 600 de 1969, une voiture qui, après plus de quarante ans, était à la hauteur de sa réputation de limousine la plus luxueuse du monde. La circulation était dense, mais elle l’est toujours, en Argentine. Les rues y sont noires de véhicules, du soir au matin.

Le chauffeur conduisit la grosse Mercedes au barrio de Recoleta, autour des jardins luxuriants de la Plaza Francia et de la Plaza Intendente Alvear. Ce quartier était considéré comme l’équivalent de Michigan Avenue, à Chicago, ou de Rodéo Drive, à Beverly Hills, avec ses boulevards bordés d’arbres, abritant les magasins chic, les hôtels de luxe et les immeubles résidentiels.

La voiture longea le célèbre cimetière de Recoleta, avec ses étroits chemins de pierre circulant entre sept mille mausolées ornés de statues et d’orchestres d’anges de béton, veillant sur les morts. Là repose Eva Perôn, dans une tombe appartenant à la famille Duarte. Les touristes étrangers sont généralement fascinés par l’épitaphe de la crypte : « Ne pleure pas, Argentine, je reste tout près de toi ».

Le chauffeur tourna pour passer l’entrée gardée, une grille spectaculaire de fer forgé, puis emprunta une allée circulaire et s’arrêta devant le portail d’un immense manoir du dix-neuvième siècle, avec une haute colonnade et des murs couverts de lierre, qui avait été autrefois l’ambassade d’Allemagne, avant la Seconde Guerre mondiale. Quatre ans après la guerre, le gouvernement allemand avait déménagé ses diplomates dans une enclave à la mode, connue sous le nom de Palermo Chico. Depuis lors, le manoir avait servi de quartier général des Destiny Enterprises Ltd.

Wolf descendit de la voiture et entra dans le manoir. L’intérieur était loin d’être somptueux.

Le sol et les colonnes de marbre, les murs aux riches panneaux, les plafonds de faïence rappelaient un passé fabuleux, mais il y avait peu de meubles et aucun effet décoratif. Un escalier de marbre blanc menait aux bureaux, mais Wolf monta dans un petit ascenseur caché dans un des murs. L’appareil s’éleva silencieusement et s’ouvrit sur une vaste salle de conférences où dix membres de la famille Wolf, quatre femmes et six hommes, attendaient, assis autour d’une table en teck de neuf mètres de long.

Tous se levèrent pour accueillir Karl. Il était le plus habile et le plus intuitif de la vaste famille, aussi était-il, à seulement trente-huit ans, accepté et respecté comme le chef, le conseiller et le directeur.

— Excusez mon retard, mes frères et sœurs, mais je suis venu dès que j’ai été averti de la tragédie. Il se dirigea vers un homme aux cheveux gris et l’embrassa.

— Est-il vrai, père, que l’U-2015 ait disparu et Heidi avec lui ? Max Wolf hocha tristement la tête.

— C’est vrai. Ta sœur, le fils de Kurt, Eric, et tout l’équipage reposent maintenant au fond de la mer de l’Antarctique.

— Eric ? s’étonna Karl Wolf. On ne m’a pas dit, à l’opéra, qu’il était mort aussi. J’ignorais qu’il fût à bord. Êtes-vous certain de cela ?

— Nous avons intercepté la transmission par satellite que l’Agence Nationale Marine et Sous-Marine adressait à Washington, dit un homme grand, assis de l’autre côté de la table, et qui aurait pu passer pour le jumeau de Karl. Le visage de Bruno Wolf n’était qu’un masque de colère.

— Les transmissions sont claires. Pendant qu’il exécutait notre plan d’élimination de tous les témoins ayant vu les objets amènes, notre U-boat tirait sur le navire de recherches de la NUMA ; soudain un sous-marin nucléaire des États-Unis est arrivé et a lancé un missile, qui a détruit notre sous-marin. Ils n’ont pas parlé de survivants.

— C’est une perte terrible, murmura Kurt. Deux membres de la famille et le vénérable U-2015. N’oublions pas qu’il a transporté nos grands-parents et le noyau de notre empire depuis l’Allemagne, après la guerre.

— Sans compter les services inestimables qu’il nous a rendus au fil des années, ajouta Otto Wolf, l’un des huit médecins de la famille. Il nous manquera beaucoup.

Les hommes et les femmes, autour de la table, restèrent silencieux. Ce groupe, de toute évidence, n’avait jamais fait l’expérience de l’échec. Pendant cinquante-cinq ans, depuis leur début, les Destiny Enterprises Ltd. n’avaient connu que succès sur succès. Chaque projet, chaque opération, était soigneusement planifié. On envisageait le moindre imprévu. Les problèmes étaient réglés d’avance. La négligence et l’incompétence n’existaient pas, tout simplement. La famille Wolf avait, jusqu’à présent, régné sans partage. Aussi trouvait-elle presque impossible d’accepter un revers.

Wolf s’installa dans le fauteuil à la tête de la table.

— Combien avons-nous perdu de membres de la famille et de personnel depuis deux semaines ?

Bruno Wolf, qui avait épousé Geli, ouvrit un dossier et examina une colonne de chiffres.

— Sept agents au Colorado, sept sur l’île Saint-Paul, y compris notre cousin Fritz, qui dirigeait l’opération depuis l’hélicoptère. Quarante-sept marins sur l’U-2015 plus Heidi et Eric.

— Soixante-sept de nos meilleurs employés et trois membres de notre famille en moins de dix jours, intervint Elsie Wolf. Cela paraît impossible !

— Surtout si l’on considère que les responsables ne sont qu’un groupe d’océanographes académiques, qui ne sont guère plus que des méduses dégoûtantes, explosa Otto avec colère.

Karl se frotta les yeux d’un geste las.

— Puis-je te rappeler, mon cher Otto, que ces méduses dégoûtantes ont tué douze de nos meilleurs agents, sans compter les deux que nous avons dû éliminer pour les empêcher de parler.

— Les scientifiques et les ingénieurs de la Marine ne sont pas des tueurs professionnels, observa Elsie. Notre agent travaillant clandestinement à l’Agence Nationale Marine et Sous-Marine à Washington m’a envoyé les dossiers personnels des hommes responsables de nos morts au Colorado et sur l’île Saint-Paul. Il ne s’agit pas d’hommes ordinaires. Leurs exploits au sein de la NUMA se racontent comme des romans d’aventures. (Elsie se tut pour faire passer diverses photos autour de la table.) Le premier visage est celui de l’amiral James Sandecker, le président de la NUMA. Sandecker est très respecté parmi les plus hautes instances du gouvernement des États-Unis. Après une campagne remarquable au Viêt Nam, il a été personnellement chargé de la création et de la direction de cette agence. Il a beaucoup d’influence sur le Congrès américain.

— Je l’ai rencontré une fois, lors d’une conférence sur les sciences océanographiques, à Marseille, dit Karl. C’est un adversaire qu’il ne faut pas sous-estimer.

— La photo suivante est celle de Rudolph Gunn, le vice-président de la NUMA…

— Un type apparemment insignifiant, observa Félix Wolf, l’avocat de la famille. Il ne paraît pas avoir la force d’un tueur.

— Il n’a pas besoin de savoir tuer de ses mains, dit Elsie. Pour ce que nous savons, il est le cerveau responsable de nos pertes sur l’île Saint-Paul. Diplômé de l’Académie Navale des États-Unis, il a fait une brillante carrière dans la marine avant d’entrer à la NUMA et de devenir le bras droit de l’amiral Sandecker.

Bruno prit une troisième photo.

— Celui-ci me semble capable de tirer des pièces de votre estomac et de vous rendre la monnaie.

— Albert Giordino, l’assistant du directeur des Projets spéciaux de la NUMA, expliqua Elsie. Diplômé de l’Académie de l’Air Force. Il a servi au Viêt Nam où il s’est distingué. Bruno a raison, Giordino a la réputation d’un type pas commode. Son dossier à la NUMA est remarquable. Les projets qu’il a dirigés avec succès sont multiples. Il a tué quand c’était nécessaire et, d’après le peu que nous avons pu apprendre, c’est lui qui, avec Gunn, est responsable de la disparition de notre équipe à Saint-Paul.

— Et la dernière photo ? demanda Otto.

— Il s’appelle Dirk Pitt. Il est considéré comme une légende dans les cercles océanographiques. Il est le directeur des Projets spéciaux de la NUMA et a quelque chose d’un homme de la Renaissance. Célibataire, il collectionne les voitures anciennes, il est également diplômé de l’Air Force et a reçu plusieurs médailles pour son héroïsme au Viêt Nam. Son dossier est énorme. C’est lui qui a fait échouer nos plans au Colorado. Il était aussi présent dans l’Antarctique lorsque l’U-2015 a été coulé par le sous-marin nucléaire américain.

— Quel dommage ! dit Otto avec une colère froide. (Il regarda l’un après l’autre les occupants de la table.) C’était une erreur d’utiliser l’U-boat au lieu d’un navire de surface moderne.

— Une erreur de notre part, dit Karl, pour avoir voulu déconcerter nos ennemis. Bruno donna un coup de poing sur la table.

— Nous devons nous venger de ces hommes. Ils doivent mourir.

— Tu as donné l’ordre d’assassiner Pitt sans notre approbation, dit sèchement Karl. Et j’ajouterai que la tentative a raté. Nous ne pouvons nous offrir le luxe d’une vengeance. Nous avons un programme à tenir et je ne veux pas que nous éparpillions notre attention à de viles tentatives de revanche.

— Je n’y vois rien de vil, contra Bruno. Ces quatre hommes sont directement responsables de la mort de nos frères et de notre sœur. Ils ne peuvent rester impunis.

Karl jeta un regard glacial à Bruno.

— T’est-il jamais venu à l’idée, cher frère, que lorsque le Projet Nouvelle Destinée atteindra son apogée, ils mourront tous de mort violente ?

— Karl a raison, dit Elsie. Nous ne pouvons pas nous permettre de distraire notre attention de notre but réel, même si notre famille en a subi les tragiques conséquences.

— Le sujet est clos, dit fermement Karl. Nous nous concentrons sur ce que nous avons à faire et acceptons notre peine comme le prix à payer pour notre réussite.

— Maintenant que les cryptes du Colorado et de l’île Saint-Paul ont été découvertes par des étrangers, dit Otto, je ne vois pas ce que nous gagnerions à perdre du temps, de l’argent et d’autres vies à cacher l’existence de nos lointains ancêtres.

— Je suis d’accord, dit Bruno. Maintenant que les inscriptions sont entre les mains des hauts fonctionnaires du gouvernement américain, nous devrions rester dans l’ombre pendant qu’ils les déchiffrent puis annoncent aux médias internationaux les menaces du désastre des Amènes, ce qui nous évitera de le faire.

Karl se perdit dans ses pensées, contemplant la table.

— Notre plus grande inquiétude est que l’histoire soit divulguée trop tôt, avant le lancement du Projet Nouvelle Destinée, et que l’absence d’informations mette les gens sur notre piste.

— Alors, nous devons brouiller les pistes avant que les scientifiques n’éventent notre ruse.

— Grâce à ces chiens, l’Agence Nationale Marine et Sous-Marine et le monde entier nous tomberont dessus dans deux semaines, dit Bruno en regardant Karl. Y a-t-il une chance, mon frère, pour que nos frères du Walhalla avancent la date ?

— Si j’explique l’urgence et que je leur fais comprendre les dangers que nous rencontrons, oui, je crois que je pourrai leur faire avancer la date du lancement à dix jours d’ici.

— Dix jours, répéta Christa avec passion. Dix jours seulement avant que le vieux monde soit détruit et que le Quatrième Empire renaisse de ses cendres !

Karl eut un hochement de tête solennel.

— Si tout se passe suivant les plans soigneusement étudiés par notre famille en 1945, nous changerons complètement l’humanité pour les dix mille ans à venir.

23

Après qu’un avion l’eut déposé sur une station glacée puis emmené, en traversant la partie occidentale de l’océan Indien, jusqu’au Cap, Pitt rejoignit Pat O’Connell qui arrivait directement de Washington. Elle était accompagnée du Dr Bradford Hatfield, pathologiste et archéologue, spécialisé dans l’étude des momies. Ensemble, ils prirent un avion à rotor basculant jusqu’à l’île Saint-Paul. Un lourd crachin tombait des nuages hostiles et tourbillonnait sous l’effet d’un vent violent, frappant leurs visages découverts comme les plombs d’une carabine. Ils furent accueillis par une équipe de SEAL, un groupe d’élite appartenant à la Marine américaine. Tous étaient des hommes grands et tranquilles, occupés seulement par leur mission, vêtus de tenues de camouflage qui ne détonnaient pas sur les roches grises volcaniques de l’île.

— Bienvenue dans ce coin perdu de l’Enfer, dit un homme trapu au sourire amical.

Il manipulait une arme énorme, passée à son épaule, la crosse en l’air. Cela ressemblait à la fois à un fusil automatique, un lance-missiles et un fusil de chasse de calibre douze.

— Je suis le lieutenant Miles Jacobs. Je vous servirai de guide.

— L’amiral Sandecker ne prend pas de risques à propos d’un éventuel retour des terroristes, remarqua Pitt en serrant la main de Jacobs.

— Il est peut-être retraité de la marine, mais il a encore du poids auprès des échelons supérieurs. Mes ordres de protéger les gens de la NUMA viennent directement du ministère de la Marine.

Sans parler davantage, Jacobs et quatre de ses hommes, deux devant et deux derrière, conduisirent Pitt et ses compagnons en haut de la montagne, jusqu’à l’ancienne route menant au tunnel. Pat était à moitié trempée dans son vêtement de pluie et impatiente de sortir de l’humidité. Quand ils atteignirent l’entrée, Giordino s’avança pour les accueillir. Il avait l’air fatigué, mais aussi fanfaron que le capitaine d’une équipe de football gagnante.

Pat fut un peu surprise de voir ces deux hommes aussi rudes et solides se tomber dans les bras affectueusement en se donnant de grandes claques dans le dos. Il y avait tant d’affection dans leurs yeux qu’elle aurait pu jurer qu’ils étaient au bord des larmes.

— Je suis content de te retrouver vivant, vieille branche, dit Pitt d’une voix joyeuse.

— Content que tu aies survécu aussi, répondit Giordino avec un grand sourire. J’ai entendu dire que tu t’en étais pris à un U-boat à coups de boules de neige ?

— Une histoire très exagérée, dit Pitt en riant. Tout ce qu’on pouvait faire, c’était de leur montrer les poings et de les insulter, jusqu’à ce que la Marine arrive au bon moment.

— Docteur O’Connell, fit Giordino avec une révérence en embrassant sa main gantée. Nous avions grand besoin de quelqu’un comme vous pour illuminer cet endroit sinistre.

Pat sourit et lui rendit sa révérence.

— J’en suis ravie, monsieur…

Pitt se tourna pour présenter l’archéologue.

— Al Giordino, le Dr Brad Hatfield. Brad est ici pour étudier les momies que Rudi et toi avez trouvées.

— On m’a dit que vous et le commandant Gunn étiez tombés sur un filon archéologique, dit Hatfield.

Il était grand et maigre, avec des yeux couleur de liège, un visage lisse et étroit et une voix douce. Il se penchait un peu en avant en parlant et regardait ses interlocuteurs à travers de petites lunettes rondes qui paraissaient dater de 1920.

— Venez vous mettre à l’abri et voyez par vous-même.

Giordino les conduisit par le tunnel jusqu’à la grotte extérieure. À 15 mètres de là, une puissante odeur de fumée et de chair brûlée envahit leurs narines. Les SEAL avaient apporté une génératrice pourvue d’un tuyau d’échappement pour rejeter la fumée au-delà de l’entrée. La génératrice produisait une grande source de lumière.

Aucun des arrivants ne s’était attendu à un pareil état de dévastation. Tout l’intérieur était noirci de feu et de suie. Les quelques objets traînant dans la caverne avant l’explosion avaient été réduits en cendres.

— Qu’est-il arrivé à cette pièce ? demanda Pitt, étonné.

— Le pilote d’un hélicoptère ennemi a pensé qu’il serait gentil de nous envoyer une roquette par le tunnel, expliqua Giordino, aussi placidement que s’il expliquait comment manger une pomme.

— Mais Rudi et toi ne pouviez pas être là-dedans !

— Bien sûr que non, dit Giordino, grimaçant. Il y a un tunnel qui mène à une autre crypte, derrière celle-ci. Nous étions protégés par un tas de pierres éboulées. Ni Rudi ni moi ne pourrons entendre, si on nous parle doucement, pendant quelques semaines et nos poumons sont un peu encombrés, mais nous avons survécu.

— C’est un miracle que vous n’ayez pas été rôtis comme vos copains, ici, dit Pitt en regardant les restes carbonisés des attaquants.

— Les SEAL vont nettoyer tout ce bazar et transporter les corps aux États-Unis pour qu’on tente de les identifier.

— C’est affreux, murmura Pat en pâlissant.

Mais son côté professionnel reprit le dessus et elle commença à passer les doigts sur les inscriptions du mur. Elle regarda avec tristesse la roche abîmée.

— Ils l’ont détruite, dit-elle en soupirant. Ils ont presque tout effacé. Il n’en reste pas assez pour qu’on le déchiffre.

— Ce n’est pas une grande perte, dit Giordino sans se démonter. Le plus beau est dans la crypte intérieure, sans une égratignure. Les momies ont été couvertes de poussière, mais à part ça, elles sont aussi fraîches que le jour où on les a assises.

— Assises ? répéta Hatfield. Les momies ne sont-elles pas couchées à l’horizontale dans des sarcophages ?

— Non, elles sont assises sur des sièges de pierre.

— Sont-elles entourées de bandelettes ?

— Encore non, répondit Giordino. Elles sont assises comme si elles tenaient un conseil d’administration, vêtues de tuniques, avec des chapeaux et des bottes.

Hatfield secoua la tête d’incrédulité.

— J’ai vu des sépultures anciennes où les corps étaient étroitement entourés de toile dans des cercueils, en position fœtale, dans des jarres d’argile, sur le dos ou sur le ventre et aussi debout. Mais je n’ai jamais entendu parler de momies assises.

— J’ai installé des lumières pour que vous puissiez les examiner ainsi que les autres objets.

Pendant les heures passées à attendre Pitt et Pat O’Connell, il avait demandé aux SEAL de l’aider à dégager l’éboulement, à sortir les rochers et à les jeter en bas de la montagne. Le tunnel vers la crypte interne était maintenant ouvert et ils purent y entrer directement, sans devoir escalader les décombres. Des spots éclairaient la crypte mieux que le soleil, révélant les momies et mettant en vedette leurs vêtements colorés.

Hatfield se précipita pour examiner le visage de la première sous le nez. Il avait l’air d’un homme lâché en plein paradis. Il allait de momie en momie, examinant leur peau, leurs oreilles, leur nez et leurs lèvres. Il ouvrit un grand sac pliant et en tira une lampe de chirurgien et des loupes montées sur un bandeau métallique qu’il passa autour de son front. Il alluma sa lampe et régla les lentilles, puis commença à enlever délicatement la poussière des paupières d’une des momies, avec une petite brosse douce d’artiste. Les autres le regardèrent en silence jusqu’à ce qu’il se tourne vers eux, enlève le bandeau frontal et leur parle.

Il parlait comme on prononce un sermon à l’église.

— Au cours de toutes mes années d’études sur d’anciens cadavres, dit-il, je n’ai jamais vu de corps aussi bien conservés. Même les pupilles paraissent assez intactes pour qu’on voie la couleur de leurs iris.

— Ils n’ont peut-être qu’une centaine d’années, dit Giordino.

— Je ne crois pas. Le tissu de leurs tuniques, le style de leurs bottes, la coupe et le style de leurs chapeaux et de leurs vêtements ne ressemblent à rien de ce que j’ai vu auparavant. En tout cas, ça ne ressemble à rien de ce qu’on a historiquement trouvé à ce jour. Je ne sais pas quelles sont leurs méthodes d’embaumement, mais la technique de ces gens est bien supérieure à celles des momies que j’ai étudiées en Égypte. Les Égyptiens mutilaient les corps pour enlever les organes internes de leurs morts, sortant le cerveau par le nez et enlevant les poumons et les organes abdominaux. Ces corps ne sont abîmés ni extérieurement, ni intérieurement. Ils paraissent en fait ne pas avoir été touchés par les embaumeurs.

— Les inscriptions que nous avons trouvées dans les montagnes du Colorado ont été datées de 9 000 ans avant Jésus-Christ, dit Pat. Est-il possible que ces gens et ces objets soient de la même époque ?

— Sans matériel de datation, je n’en sais rien, répondit Hatfield. Je suis incapable de conclure quoi que ce soit de cet ordre. Mais je parierais volontiers ma réputation que ces gens appartenaient à une ancienne culture inconnue de l’Histoire.

— Ils ont dû être des marins exceptionnels pour avoir trouvé cette île et y avoir enterré leurs chefs, remarqua Pitt.

— Et pourquoi ici ? demanda Giordino. Pourquoi ne les ont-ils pas enterrés dans un endroit plus pratique, sur la côte continentale ?

— Je dirais qu’ils ne souhaitaient peut-être pas être découverts ? suggéra Pat. Pitt regarda les momies d’un air pensif.

— Je n’en suis pas sûr. Je pense qu’ils souhaitaient être découverts un jour, au contraire. Ils ont laissé des indices dans d’autres chambres souterraines, à des milliers de kilomètres de distance. D’après ce que j’ai compris, Hiram Yaeger et vous avez établi que les inscriptions du Colorado n’étaient pas des messages adressés aux dieux du monde des morts !

— C’est exact pour le moment. Mais nous sommes bien loin d’avoir fini de déchiffrer tous les symboles. Le peu que nous avons appris pour le moment, c’est que les inscriptions ne sont pas de nature funéraire, mais plutôt un avertissement concernant une catastrophe future.

— Future pour qui ? demanda Giordino. Peut-être s’est-elle déjà produite au cours des neuf mille années passées.

— Nous n’avons pas encore déterminé l’époque, répondit Pat. Hiram et Max y travaillent en ce moment.

Elle s’approcha d’un des murs et essuya la poussière de ce qui ressemblait à des silhouettes sculptées dans la roche. Ses yeux s’agrandirent de surprise excitée.

— Ces symboles n’ont pas le même style que ceux que nous avons trouvés au Colorado. Ceux-ci sont des hiéroglyphes représentant des humains et des animaux.

Bientôt, ils étaient tous occupés à enlever la poussière et la saleté des siècles sur la roche polie. Commençant par les quatre coins du mur, ils travaillèrent en se rapprochant du centre, jusqu’à ce que les dessins soient distinctement visibles sous la lumière intense des projecteurs.

— Qu’en concluez-vous ? demanda Giordino à la cantonade.

— C’est un port fluvial ou un port de mer, c’est sûr, dit Pitt. On distingue une flotte de vieux navires avec des voiles et des rames, entourés par une jetée dont les extrémités supportent de hautes tours, probablement des sortes de phares.

— Je suis d’accord, dit Hatfield. Je discerne des bâtiments autour de la jetée où plusieurs navires sont ancrés.

— Ils semblent occupés à charger ou à décharger quelque chose, ajouta Pat, qui avait sorti la loupe qui ne la quittait jamais. Les personnages sont gravés avec minutie et portent le même genre de vêtements que nos momies. Un des navires paraît décharger un troupeau d’animaux.

Giordino s’approcha de Pat pour regarder les hiéroglyphes de plus près.

– Des licornes, annonça-t-il. Ce sont des licornes. Voyez, elles n’ont qu’une seule corne au-dessus de la tête.

— C’est extravagant, marmonna Hatfïeld avec scepticisme. Aussi extravagant que les sculptures grecques de dieux imaginaires.

— Comment le savez-vous ? contra Pitt. Peut-être les licornes existaient-elles il y a neuf mille ans, avant de s’éteindre comme le mammouth laineux et le smilodon.

— Oui, en même temps que les méduses à cheveux de serpents et les cyclopes avec un œil au milieu du front !

— N’oubliez pas les gargouilles et les dragons, ajouta Giordino.

— Tant que des os ou des fossiles n’auront pas prouvé leur existence, dit Hatfïeld, ils devront rester un mythe du passé.

Pitt refusa de discuter plus longtemps avec Hatfïeld. Il se tourna et alla derrière les pierres où étaient assises les momies. Il fixa un grand rideau de peau de bêtes cousues, qui couvrait le mur du fond. Très doucement, il en souleva un coin et regarda dessous. Son visage prit une expression perplexe.

— Attention ! cria Hatfîeld. C’est fragile ! Pitt l’ignora et souleva la tenture à deux mains, jusqu’à passer sa tête dessous.

— Vous ne devriez pas toucher ça, s’énerva Hatfield. C’est une relique inestimable, qui pourrait tomber en poussière. Il faut la manier délicatement, jusqu’à ce qu’on puisse la traiter.

— Ce qu’il y a là-dessous est encore plus précieux, dit Pitt sans s’émouvoir. (Il fit signe à Giordino.) Prends deux de ces lances et sers t’en pour tenir le rideau levé.

Hatfield, le visage cramoisi, essaya d’empêcher Giordino, mais il aurait tout aussi bien essayé d’arrêter un tracteur. Giordino le repoussa sans même le regarder, détacha deux des lances à pointe d’obsidienne, les planta dans le sol de la chambre et utilisa leurs crosses pour tenir le rideau. Pitt régla deux projecteurs en concentrant leurs rayons sur le mur.

Pat retint son souffle et contempla quatre larges cercles sculptés dans le mur poli, d’étranges diagrammes étant creusés dans leurs circonférences.

— Ce sont des sortes de hiéroglyphes, dit-elle.

— On dirait des cartes, intervint Giordino.

— Des cartes de quoi ? Pitt eut un sourire stupéfait.

— Quatre différentes projections de la Terre.

Hatfield regarda à travers ses lunettes par-dessus l’épaule de Pat.

— C’est ridicule ! Cela ne ressemble à aucune des anciennes cartes que j’ai vues jusqu’à présent. Elles sont trop détaillées et ne ressemblent en rien à la géographie que nous connaissons.

— Ça, c’est parce que votre esprit étroit ne peut pas voir les continents et les côtes tels qu’ils étaient il y a neuf mille ans.

— Je suis de l’avis du DrHatfield, dit Pat. Je n’aperçois qu’une série de grandes et de petites îles découpées entourées d’images suggérant une vaste mer.

— Moi, j’y vois un papillon mitraillé par un feu aérien sur un test de taches d’encre de Rorschach, ajouta Giordino d’un ton moqueur.

— Tu viens de perdre cinquante points sur l’échelle de ton QI, répondit Pitt. Je croyais pouvoir compter sur toi au moins pour résoudre l’énigme.

— Mais que voyez-vous vous-même ? demanda Pat.

— Je vois quatre vues différentes du monde depuis l’Antarctique, il y a neuf mille ans.

— Blague à part, dit Giordino, tu as raison. Pat recula pour avoir une vue d’ensemble.

— Oui, je commence à distinguer d’autres continents. Mais ils sont dans des positions différentes. On dirait que le monde a été chahuté.

— Je ne vois pas comment l’Antarctique s’insère dans ce dessin, insista Hatfield.

— Juste devant vous !

— Comment pouvez-vous en être si sûr ? demanda Pat.

— J’aimerais bien savoir comment vous êtes arrivé à cette conclusion, se moqua Hatfield. Pitt regarda Pat.

— Avez-vous de la craie, dans votre fourre-tout ? Celle que vous utilisez pour faire ressortir les inscriptions sur la roche ? Elle sourit.

— Ça ne se fait plus. Maintenant, on préfère le talc.

— D’accord, allons-y pour le talc. Et aussi des mouchoirs en papier. Toutes les femmes en ont.

Elle fouilla dans sa poche et lui tendit un petit paquet de mouchoirs. Puis elle chercha dans son sac où se trouvaient pêle-mêle les carnets, l’équipement de photo et les instruments nécessaires à l’examen des symboles anciens gravés sur la pierre. Elle trouva finalement la boîte de talc.

Pendant qu’elle cherchait, Pitt humidifia un mouchoir en papier avec l’eau d’un bidon et mouilla les dessins pour que le talc adhère dans les sculptures en creux. Quand Pat lui passa le talc, il commença à l’appliquer sur la surface lisse. Trois minutes plus tard, il se recula pour admirer son œuvre.

— Mesdames et messieurs, je vous offre l’Antarctique !

Tous trois regardèrent avec attention la couche de talc blanc que Pitt avait appliquée sur la roche polie et essuyée ensuite, soulignant les traits gravés. Ils y virent une ressemblance très nette avec le continent du pôle Sud.

— Mais qu’est-ce que cela veut dire ? demanda Pat, qui ne comprenait plus.

— Cela signifie, expliqua Pitt en montrant les momies sur leurs sièges de pierre, que cet ancien peuple habitait l’Antarctique des milliers d’années avant l’homme moderne. Ils la parcouraient et en faisaient des cartes avant qu’elle ne soit recouverte de glace et de neige.

— Ridicule ! s’obstina Hatfield. Il est scientifiquement prouvé que tout le continent moins trois pour cent est couvert de glace depuis des millions d’années.

Pitt se tut quelques secondes. Il regarda les momies comme si elles étaient vivantes, ses yeux allant d’un visage à l’autre, comme pour essayer de communiquer avec elles. Enfin, il montra les morts silencieux.

— Les réponses, dit-il avec une inébranlable conviction, ce sont eux qui nous les donneront.

24

Hiram Yaeger retourna à ses ordinateurs après le déjeuner avec, dans les bras, une grande boîte en carton contenant un chiot, un basset-hound. Il avait sauvé l’animal d’une euthanasie, quelques heures plus tôt, à la fourrière de la ville. Quand le golden-retriever de la famille était mort de vieillesse, Yaeger s’était juré qu’il enterrait là son dernier chien et avait refusé de le remplacer. Mais ses deux filles adolescentes l’avaient prié et supplié d’en acheter un autre, menaçant même de ne plus rien faire en classe s’il ne remplaçait pas le retriever. La seule consolation de Yaeger était de savoir qu’il n’était pas le premier père que ses enfants obligeaient à avoir un animal à la maison.

Il avait eu l’intention de trouver un autre golden retriever, mais quand il avait vu les yeux tristes et attendrissants du basset et son corps disgracieux sur des pattes courtes, les oreilles traînant par terre, il avait été conquis. Il avait étalé des journaux autour de son bureau et permis au chiot de vagabonder. Mais celui-ci avait préféré se coucher dans la boîte, sur une serviette, et contempler Yaeger qui, du coup, avait eu beaucoup de mal à détourner son attention de ces yeux tristes.

Finalement, il s’obligea à travailler et appela Max. Elle parut à l’écran et gronda :

— Dois-tu sans cesse me faire attendre ?

Il se baissa et prit le chiot pour que Max le voie.

— J’ai dû m’arrêter pour trouver un petit chien pour mes filles. Le visage de Max s’attendrit instantanément.

— Il est adorable. Les filles vont être ravies.

— As-tu fait des progrès dans le déchiffrage des inscriptions ? demanda-t-il.

— J’ai bien éclairci le sens des symboles, mais il faut encore du travail pour les réunir en mots que l’on pourra traduire en anglais.

— Dis-moi ce que tu as déjà trouvé.

— En fait, beaucoup, dit-elle fièrement.

— Je t’écoute.

— Aux alentours de 7 000 avant Jésus-Christ, le monde a subi une catastrophe énorme.

— As-tu une idée de quoi il s’agissait ?

— Oui, c’était inscrit sur la carte du ciel, au plafond de la crypte du Colorado. Je n’ai pas encore déchiffré toute l’histoire, cependant il semble que non pas une, mais deux comètes soient arrivées du fond du système solaire et aient causé une calamité à l’échelle de la planète.

— Tu es sûre qu’il ne s’agissait pas d’astéroïdes ? Je ne suis pas astronome, mais je n’ai jamais entendu parler de comètes orbitant en parallèle.

— La carte céleste parle de deux objets avec de longues queues, côte à côte, qui s’écrasent sur la terre. Yaeger baissa la main et caressa le chien en parlant.

— Deux comètes frappant en même temps ! Selon leur taille, elles ont dû causer un immense bouleversement !

— Désolé, Hiram, je n’avais pas l’intention de t’induire en erreur. Une seule des comètes a frappé la terre. L’autre a contourné le soleil et disparu dans l’espace.

— La carte du ciel indique-t-elle où est tombée la comète ? Max fit non de la tête.

— L’image du site indique le Canada, probablement dans la région de la baie d’Hudson.

— Je suis fier de toi, Max. (Yaeger avait posé le basset sur ses genoux où il s’était tout de suite endormi.) Tu ferais un parfait détective.

— Ce serait un jeu d’enfant pour moi que de résoudre les crimes des gens ordinaires, dit Max d’un ton dédaigneux.

— D’accord, nous avons une comète qui s’écrase sur la terre dans une province canadienne, environ 7 000 ans avant le Christ et qui cause une destruction à l’échelle mondiale.

— Ce n’est que le premier acte. La substance de l’histoire vient après, avec la description des hommes et de leur civilisation qui existaient avant la catastrophe et ses conséquences. La plupart ont été annihilés. Les quelques personnes, trop rares, qui survécurent, trop faibles pour rebâtir leur empire, se considérèrent comme chargées d’une mission divine, consistant à parcourir le monde, à éduquer les habitants primitifs, encore à l’âge de la pierre, qui subsistaient dans des zones éloignées et à construire des monuments signalant le prochain cataclysme.

— Pourquoi attendaient-ils une autre menace de l’espace ?

— D’après ce que j’ai compris, ils prévoyaient le retour de la seconde comète, qui finirait le travail de destruction. Yaeger en resta sans voix.

— Ce que tu veux dire, Max, c’est qu’il y a vraiment eu une civilisation appelée Atlantide ?

— Je n’ai pas dit ça, dit Max d’un ton fâché. Je n’ai pas encore réussi à déterminer comment s’appelaient ces hommes. Mais je sais qu’ils n’ont qu’une vague ressemblance avec l’histoire écrite par Platon, le célèbre philosophe grec. Il rapporte une conversation qui se passe deux cents ans avant son époque, entre son ancêtre, le grand homme d’État Solon, et un prêtre égyptien, qui est le premier récit parlant de l’Atlantide.

— Tout le monde connaît la légende, dit Yaeger dont l’esprit tournait à toute vitesse. Le prêtre parlait d’un continent plus grand que l’Australie, qui s’élevait au milieu de l’océan Atlantique, à l’ouest des colonnes d’Hercule, ou le détroit de Gibraltar, comme nous l’appelons aujourd’hui. Il y a plusieurs milliers d’années, il fut détruit et plongea dans la mer après un grand bouleversement, et disparut. Cette énigme a interloqué les croyants et les historiens, qui s’en sont moqués jusqu’à ce jour. Personnellement, j’ai tendance à penser, avec les historiens, que l’Atlantide n’est rien de plus qu’une des premières histoires de science-fiction.

— Mais peut-être n’est-ce pas une pure invention, après tout ! Yaeger regarda Max, les sourcils froncés.

— Il n’existe aucune base géologique pour affirmer qu’un continent a disparu au milieu de l’océan Atlantique, il y a neuf mille ans. Il n’a jamais existé. Et certainement pas entre l’Afrique du Nord et les Caraïbes. On admet généralement que la légende est liée à un tremblement de terre catastrophique et à une inondation due à une éruption volcanique sur l’île de Théra, ou Santorin, comme on l’appelle maintenant, qui ont effacé de la carte la grande civilisation minœnne, en Crète.

— Ainsi, tu penses que la description que fait Platon de l’Atlantide, dans ses livres Critias et Timée, est une invention ?

— Pas une description, Max, dit Yaeger en corrigeant l’ordinateur. Il a raconté cela sous forme de dialogue, qui était un genre populaire en Grèce. L’Histoire n’est jamais à la troisième personne, mais présentée au lecteur par un narrateur ou davantage, avec l’un qui questionne l’autre. Et, oui, je crois que Platon a inventé l’histoire de l’Atlantide, en songeant avec jubilation que les générations futures avaleraient la duperie, qu’elles rédigeraient un millier de livres sur le sujet et qu’elles en débattraient à n’en plus finir.

— Tu es un homme coriace, Yaeger, dit Max. Je suppose que tu ne crois pas non plus aux prédictions d’Edgar Cayce, le célèbre voyant ?

Yaeger secoua la tête.

— Cayce prétendait avoir vu l’Atlantide tomber et se relever dans les Caraïbes. Si une civilisation a jamais existé dans cette région, les centaines d’îles auraient présenté des indices. Mais à ce jour, on n’a même pas trouvé un tesson venant d’une culture ancienne.

— Et les grands blocs de pierre qui forment une route sous-marine au large de Bimini ?

— Une formation géologique que l’on trouve dans d’autres parties des mers du monde.

— Et les colonnes de pierre qu’on a trouvées au fond de l’eau, au large de la Jamaïque ?

— On a prouvé qu’il s’agissait de barriques de béton sec qui s’est solidifié dans l’eau, après que le navire qui les transportait eut coulé et que le bois des tonneaux eut disparu sous l’effet de l’érosion. Regarde les choses en face, Max. L’Atlantide est un mythe.

— Tu n’es qu’un vieux débris, Hiram, tu le sais ?

— Je te dis les choses comme elles sont, insista Yaeger. Je préfère ne pas croire à une ancienne civilisation avancée, dont certains rêveurs prétendent qu’elle avait des missiles et des décharges d’ordures !

— Ah ! dit Max. C’est là que le bât blesse. L’Atlantide n’était pas une vaste cité, peuplée de Léonard de Vinci et de Thomas Edison, et entourée de canaux sur un continent, comme l’a décrite Platon. D’après ce que j’ai découvert, ce peuple ancien était composé d’une ligue de petites nations de marins qui ont navigué dans le monde entier et qui en ont relevé les cartes, quatre mille ans avant que les Égyptiens construisent les pyramides. Ils ont conquis les mers. Ils savaient utiliser les courants et ont acquis de vastes connaissances en astronomie et en mathématiques, qui ont fait d’eux de grands navigateurs. Ils ont développé une chaîne de ports côtiers et construit un empire commercial en exploitant des mines et en transformant le minerai dont ils faisaient des métaux, au contraire d’autres peuples de la même époque qui vivaient dans des lieux plus élevés, menaient une existence nomade et survécurent au désastre. Les marins eurent la malchance d’être détruits par des raz de marée géants et disparurent sans laisser de trace. Ce qui reste peut-être de leurs ports repose tout au fond de l’eau, sous des dizaines de mètres de vase.

— Tu as déchiffré et rassemblé toutes ces données depuis hier ? demanda Yaeger sans cacher son étonnement…

— Je ne laisse pas pousser l’herbe sous mes pieds, pontifia Max. Et je ne suis pas de ceux qui restent assis en attendant que leurs éléments rouillent.

— Max, tu es un virtuose !

— Mais ce n’est rien. Après tout, c’est toi qui m’as construit.

— Tu m’as donné tant de choses à imaginer que je ne peux pas digérer tout ça d’un coup.

— Rentre chez toi, Hiram. Emmène ta femme et tes filles au cinéma. Prends une bonne nuit de sommeil pendant que j’aiguise mes plaquettes. Demain matin, quand tu viendras t’asseoir là, j’aurai des renseignements qui feront se dresser les cheveux de ta queue de cheval.

25

Après que Pat eut photographié les inscriptions et les étranges cartes du globe terrestre dans la chambre mortuaire, Giordino et elle prirent un avion pour Le Cap où ils retrouvèrent Rudi Gunn, à l’hôpital, où il avait été opéré.

Causant un vrai scandale, Gunn ignora les ordres des médecins et persuada Giordino de le sortir discrètement, par avion, d’Afrique du Sud. Giordino accepta avec plaisir et, aidé de Pat, fit sortir le courageux petit directeur de la NUMA au nez des médecins et des infirmières, en passant par les sous-sols de l’hôpital, puis le conduisit en limousine jusqu’à l’aéroport de la ville où un jet de la NUMA les ramena tous à Washington.

Pitt resta sur place avec le Dr Hatfield et l’équipe de SEAL de la Navy. Ensemble, ils emballèrent soigneusement les objets et surveillèrent leur transport par hélicoptère jusqu’à un navire de recherches de la NUMA, détourné vers l’île Saint-Paul. Hatfield s’agitait autour des momies, les emballant délicatement dans des couvertures trouvées sur le navire et les rangeant dans des caisses de bois pour le voyage jusqu’à son laboratoire de l’université de Stanford, où il les étudierait de plus près.

Quand la dernière momie fut chargée dans l’hélicoptère, Hatfield les accompagna, avec les objets, pour le court trajet les menant au navire. Pitt serra la main du lieutenant Jacobs.

— Merci de votre aide, lieutenant, et remerciez vos hommes pour moi. Nous n’aurions pas pu réussir sans vous.

— On ne nous demande pas souvent de chaperonner de vieilles momies, répondit Jacobs en souriant. Je suis presque déçu que les terroristes n’aient pas essayé de nous les enlever.

— Je ne crois pas qu’il s’agisse de terroristes au sens propre du terme.

— Un meurtrier est un meurtrier, dans tous les sens du mot !

— Vous rentrez directement aux States ? Jacobs fît signe que oui.

— On nous a demandé d’escorter les corps des attaquants, si habilement descendus par vos amis, jusqu’à l’hôpital Walter Reed, où on les examinera et où, peut-être, on les identifiera.

— Bonne chance, dit Pitt.

— Nous nous reverrons peut-être quelque part, dit Jacobs en le saluant brièvement.

— S’il y a un quelque part, j’aimerais que ce soit une plage de Tahiti.

Pitt resta sous la pluie apparemment éternelle et regarda un avion à rotor basculant Osprey de la marine se tenir au-dessus du sol pendant que les Marines grimpaient à bord, il était encore là quand l’avion disparut dans un nuage bas. Il était maintenant le seul homme sur l’île.

Il revint sur ses pas jusqu’à la chambre mortuaire, vide désormais, et jeta un dernier regard aux cartes gravées sur le mur du fond. Les projecteurs étaient partis, aussi dirigea-t-il le rayon de sa torche sur les anciennes cartes nautiques.

Qui donc étaient ces cartographes qui avaient tracé des relevés de la terre si précis, tant de milliers d’années auparavant ? Comment avaient-ils pu représenter l’Antarctique quand il n’était pas encore enfoui sous une massive couverture de glace ? Était-il possible que le pôle Sud ait eu un climat chaud, sept mille ans auparavant ? Était-il habitable pour les humains ?

L’image de l’Antarctique sans glace n’était pas la seule étrangeté dont Pitt avait omis de parler aux autres. Il était gêné par la position des autres continents et de l’Australie. Ils n’étaient pas là où ils auraient dû être. Il lui semblait que les Amériques, l’Europe et l’Asie étaient représentées presque deux mille milles au nord de l’endroit où elles auraient dû être. Pourquoi les Anciens qui, par ailleurs, calculaient les côtes avec tant d’exactitude, avaient-ils placé les continents si loin de leur place établie par rapport à la circonférence de la terre ? Cette observation le laissait rêveur, il était évident que les navigateurs possédaient une habileté scientifique qui dépassait de loin celle des races et des civilisations postérieures. Leur époque paraissait aussi plus avancée dans l’art d’écrire et de communiquer que celles qui les suivirent, des milliers d’années plus tard. Quel message essayaient-ils de faire passer à travers la mer du temps sans cesse mouvant, à jamais gravé dans la pierre ? Un message d’espoir ou un avertissement de désastres naturels à venir ?

Les pensées de Pitt furent interrompues par le son des lames de rotors et d’un moteur traversant le tunnel, annonçant le retour de l’hélicoptère qui devait l’emmener jusqu’au navire de recherches.

Avec regret, il revint à la réalité, éteignit sa torche et sortit de la crypte sombre.

Sans perdre de temps à attendre des transports gouvernementaux, Pitt prit un vol du Cap à Johannesburg, où il attrapa un avion des South African Air Lines pour Washington. Il dormit pendant la plus grande partie du vol, profitant d’une escale aux Canaries pour se dégourdir les jambes. Quand il arriva au terminal de Dulles, il était presque minuit. Il fut heureusement surpris de trouver un cabriolet Ford étincelant, de 1938, un hot rod, qui l’attendait près du trottoir. La voiture avait l’air de sortir de la Californie des années 1950. La carrosserie et les ailes étaient peintes d’une teinte bordeaux métallisé qui brillait sous les réverbères du terminal. Les pare-chocs étaient striés comme ceux d’une De Soto 1936. La lune faisait reluire les enjoliveurs avant tandis que les roues arrière étaient cachées par les jupes. Les sièges étaient en cuir beige, couleur de biscuit. L’élégante petite voiture était équipée d’un moteur V-8 à plat, qui avait été remonté de fond en comble pour développer 225 CV. La partie arrière était munie d’une boîte surmultipliée Colombia, vieille de cinquante ans.

Si la voiture n’avait pas suffi à faire tourner les têtes, la femme assise au volant était également magnifique. Ses longs cheveux cannelle étaient protégés du vent léger de l’aéroport par un foulard coloré. Elle avait les pommettes hautes d’un mannequin, soulignées par des lèvres pleines, un nez court et droit et des yeux violets charismatiques. Elle portait un pull à col roulé en alpaga feuille d’automne et un pantalon taupe, en laine, sous un manteau de même couleur lui arrivant aux genoux.

Loren Smith, députée du Colorado, lui adressa un sourire engageant.

— Combien de fois suis-je venue t’attendre comme ça, juste pour te dire « bienvenue, matelot » ?

— Je me souviens d’au moins huit fois, dit Pitt, heureux que son amour romantique depuis tant d’années ait pris le temps, malgré son emploi du temps chargé, de venir le chercher à l’aéroport dans une des voitures de sa collection.

Il jeta son sac de voyage sur le siège arrière, se glissa à la place du passager et se pencha pour l’embrasser et la tenir dans ses bras un long moment. Quand il la lâcha enfin, elle haleta et reprit son souffle.

— Attention, je ne veux pas finir comme Clinton !

— Le public applaudit les histoires d’amour des femmes politiques.

— C’est ce que tu crois, dit Loren en appuyant sur le starter et en tournant la clef du démarreur.

Le moteur répondit à la première sollicitation et émit un doux ronronnement de gorge à travers le silencieux Smitty et le pot d’échappement double.

— Où allons-nous ? Au hangar ?

— Non, j’aimerais faire un saut au QG de la NUMA pour voir ce que m’a envoyé Hiram Yaeger à propos d’un programme sur lequel nous travaillons ensemble.

— Tu dois être le seul homme du pays à ne pas avoir un ordinateur dans ton appartement.

— Je n’en veux pas à la maison, dit-il avec sérieux. J’ai bien trop de projets en train pour perdre mon temps à surfer sur Internet ou répondre aux e-mails.

Loren s’éloigna du trottoir et engagea la Ford sur la grande avenue menant à la ville. Pitt resta silencieux. Il était encore perdu dans ses pensées quand ils approchèrent de Washington, illuminée à sa base. Loren le connaissait assez bien pour attendre patiemment. Il n’allait pas manquer de revenir sur terre. C’était une question de minutes.

— Quoi de neuf au Congrès ? demanda-t-il enfin.

— Comme si ça t’intéressait ! répondit-elle avec indifférence.

— C’est aussi rasoir que ça ?

— Les débats sur le budget n’ont rien d’excitant. (Puis sa voix prit un ton plus grave.) J’ai entendu dire que Rudi Gunn avait pris une vilaine blessure ?

— Le chirurgien sud-africain, spécialisé dans la reconstitution osseuse, a fait du beau travail. Rudi va boiter quelques mois, mais ça ne l’empêchera pas de diriger les opérations de la NUMA depuis son bureau.

— Al dit que tu as passé un sale moment en Antarctique ?

— Pas aussi dur que celui qu’ils ont passé sur un îlot rocheux auprès duquel Alcatraz a l’air d’un jardin botanique. Il se tourna vers elle et la regarda d’un air pensif.

— Tu appartiens au Comité des Relations Commerciales Internationales, n’est-ce pas ?

— En effet.

— As-tu entendu parler de grandes corporations en Argentine ?

— J’y suis allée plusieurs fois et j’ai rencontré leurs ministres des Finances et du Commerce. Pourquoi cette question ?

— As-tu entendu parler d’une organisation qui se fait appeler Nouvelle Destinée ou Corporation du Quatrième Empire ? Loren réfléchit un moment.

— J’ai rencontré une fois le PDG des Destiny Enterprises, pendant une mission commerciale à Buenos Aires. Si je me rappelle bien, il s’appelait Karl Wolf.

— C’était il y a combien de temps ?

— Environ quatre ans…

— Tu as une bonne mémoire des noms !

— Karl Wolf était un bel homme, très élégant, un vrai charmeur. Les femmes n’oublient pas les hommes comme celui-là.

— Si c’est le cas, pourquoi tournes-tu toujours autour de moi ? Elle lui adressa un sourire provocant.

— Les femmes sont également attirées par les hommes terre à terre, rudes et sensuels.

— Rudes et sensuels. C’est bien moi…

Il mit son bras autour de ses épaules et lui mordit le lobe de l’oreille. Elle recula la tête.

— Pas pendant que je conduis !

Il lui serra un genou affectueusement et se détendit sur son siège, regardant les étoiles qui scintillaient dans la nuit fraîche du printemps, à travers les branches des arbres dont les feuilles, toutes neuves, commençaient à apparaître. Karl Wolf ! Il tourna et retourna le nom dans sa tête. Un vrai nom allemand. Ça valait le coup de jeter un coup d’œil aux Destiny Enterprises, même si cela se révélait un cul-de-sac.

Loren conduisait sans à-coup, dépassant adroitement les rares voitures encore sur la route à cette heure tardive. Elle tourna dans l’allée menant au parking souterrain de l’immeuble de la NUMA. Le garde de la sécurité reconnut Pitt et lui fit signe d’entrer, s’attardant pour admirer la vieille Ford brillante. Il n’y avait que trois voitures sur le niveau principal. Loren arrêta la Ford près des ascenseurs et éteignit les phares et le moteur.

— Tu veux que je monte avec toi ? demanda-t-elle.

— Je n’en ai que pour quelques minutes, dit Pitt en sortant de la voiture.

Il prit l’ascenseur jusqu’au hall principal où il s’arrêtait automatiquement. Pitt dut signer le registre du garde, assis à un bureau entouré d’une batterie d’écrans de télévision montrant les diverses zones du bâtiment.

— Vous travaillez tard ! remarqua aimablement le garde.

— Je ne fais qu’un saut rapide, répondit Pitt en étouffant un bâillement.

Avant de monter à son bureau, il s’arrêta au dixième étage, d’instinct. Il avait eu raison car Hiram Yaeger travaillait encore, il leva les yeux quand Pitt entra dans son domaine, les yeux rouges de manque de sommeil. Max regardait depuis son cyberespace.

— Dirk ! murmura-t-il en quittant sa chaise pour lui serrer la main. Je ne m’attendais pas à te voir si tard dans la nuit.

— J’ai pensé jeter un coup d’œil sur ce que le Dr O’Connell et toi avez su lire dans la poussière de l’Antiquité, dit-il cordialement.

— Je déteste les métaphores banales, dit Max.

— Toi, ça suffit ! grogna Yaeger en faisant mine d’être fâché. J’ai laissé un rapport imprimé de nos dernières découvertes sur le bureau de l’amiral Sandecker à 10 heures ce soir, ajouta-t-il pour Pitt.

— Je vais l’emprunter et je le rendrai demain matin à la première heure.

— Ne te précipite pas. Il a rendez-vous avec le directeur de l’Agence Nationale Océanique et Atmosphérique jusqu’à midi.

— Tu devrais être chez toi avec ta femme et tes filles.

— J’ai travaillé tard avec le Dr O’Connell, dit Yaeger en frottant ses yeux fatigués. Tu l’as manquée de peu.

— Elle est venue travailler sans se reposer, après son voyage ? demanda Pitt, surpris.

— C’est une femme remarquable. Si je n’étais pas marié, je lui passerais tout de suite la bague au doigt.

— Tu as toujours eu un faible pour les intellectuelles.

— L’intelligence vaut plus que la beauté, comme je le dis toujours.

— Y a-t-il quelque chose que tu veuilles me dire avant que je lise ton rapport ? demanda Pitt.

— C’est une histoire fascinante, dit Yaeger d’une voix presque rêveuse.

— Je suis d’accord, ajouta Max.

— Cela est une conversation privée, dit Yaeger à l’image de Max, d’un air grincheux avant de couper ses circuits. Nous avons une histoire incroyable d’une race de navigateurs ayant vécu avant l’aube de notre histoire connue et qui a été décimée après qu’une comète a heurté la terre, causant des raz de marée engloutissant les ports qu’ ils avaient construits dans presque tous les coins du globe. Ils ont vécu et ils sont morts en un âge oublié et dans un monde très différent de celui que nous connaissons aujourd’hui.

— La dernière fois que j’en ai parlé à l’amiral, il n’a pas écarté la légende de l’Atlantide.

— Le continent perdu au milieu de l’Atlantique n’entre pas dans le cadre de cette affaire, dit sérieusement Yaeger. Mais il est indubitable qu’une ligue de nations maritimes a existé, une ligue dont les peuples ont navigué sur tous les continents dont ils ont tracé les cartes. (Il fit une pause et regarda Pitt.) Les photos que Pat a prises des inscriptions dans la chambre mortuaire et la carte du monde sont au labo. Elles devraient être prêtes à scanner demain matin de bonne heure.

— Elles montrent des continents très différents de ce qu’ils sont sur la terre en ce moment, dit Pitt d’un ton songeur. Les yeux rougis de Yaeger devinrent songeurs.

— Je commence à penser que quelque chose de plus catastrophique qu’une comète a frappé la terre. J’ai scanné les dossiers géologiques que mon équipe a accumulés au cours des dix dernières années. L’époque glaciaire a fini de façon très brutale, en conjonction avec une incroyable fluctuation de la mer. Le niveau des mers est de 90 mètres plus haut qu’il ne l’était il y a neuf mille ans.

— Ce qui mettrait tous les déplacements et les restes des Atlantes bien loin sous les eaux des côtes.

— Et, de plus, sûrement enterrés sous la vase.

— Est-ce qu’ils s’appelaient les Atlantes ? demanda Pitt.

— Je doute qu’ils aient su ce que signifie ce mot, répondit Yaeger. Atlantide est un mot grec et signifie « fille de l’Atlas ». À cause de Platon, il est devenu, au fil des âges, le monde d’avant le début de l’Histoire, ou ce qu’on appelle une civilisation antédiluvienne. Aujourd’hui, quiconque sait lire et même la plupart de ceux qui ne savent pas ont une certaine connaissance de l’Atlantide. Le nom a été utilisé pour n’importe quoi, des hôtels de vacances aux sociétés de technologie ou de finances, des magasins de détail aux fabricants de piscines et à des milliers de produits. Des marques de vins et des produits alimentaires portent le nom d’Atlantide. On a écrit d’innombrables livres et des articles à propos du continent perdu, tourné des films et des séries pour la télévision. Mais, à ce jour, il n’y a que ceux qui croient au Père Noël, aux soucoupes volantes et au surnaturel pour penser qu’il ne s’agit pas d’une fiction créée par Platon.

Pitt se dirigea vers la porte et se retourna.

— Je me demande ce que diront les gens, dit-il pensivement, quand ils découvriront que cette civilisation a bel et bien existé.

Quand Pitt quitta Yaeger et sortit de l’ascenseur à l’étage des bureaux de la direction de la NUMA, il ne put s’empêcher de remarquer que les lumières du couloir menant à la suite de l’amiral Sandecker étaient allumées à leur plus basse intensité. Il lui parut étrange qu’elles fussent encore allumées mais il se dit qu’il pouvait y avoir quantité de raisons à cela. Au bout du couloir, il poussa la porte de verre de l’antichambre donnant sur le bureau et la salle de conférences privée de l’amiral. En entrant et en passant le bureau de Julia Wolff, la secrétaire de l’amiral, il décela le parfum caractéristique de la fleur d’oranger.

Il s’arrêta sur le seuil et chercha le commutateur. Au même instant, une silhouette bondit de l’ombre et courut vers lui, se penchant pour le frapper à l’estomac. Trop tard, il se raidit lorsque la tête de l’intrus le percuta. Il chancela en arrière, resta debout, mais se plia en deux, le souffle coupé. Il fit un mouvement pour saisir son assaillant tandis qu’ils tournoyaient, mais Pitt avait été pris par surprise et son bras manqua sa prise.

Cherchant son souffle, un bras sur son estomac, il trouva la lumière et l’alluma. Un rapide regard au bureau de Sandecker lui fit comprendre ce que l’inconnu était venu faire. L’amiral était un fanatique du rangement. Il rangeait soigneusement papiers et dossiers chaque soir dans un tiroir avant de partir pour son appartement du Watergate. Le bureau était vide et le rapport de Yaeger sur les anciens navigateurs avait disparu.

L’estomac douloureux et noué, Pitt courut vers les ascenseurs. Celui du voleur descendait déjà. Il appuya frénétiquement sur le bouton de l’autre et attendit, respirant profondément pour reprendre son souffle. Les portes s’ouvrirent enfin et il s’y engouffra, écrasant le bouton du parking. L’ascenseur descendit sans s’arrêter. « Bénis soient les ascenseurs Otis », pensa-t-il.

Il passa les portes avant qu’elles soient complètement ouvertes et courut à la hot rod tandis que deux phares arrière rouges disparaissaient en haut de la rampe d’accès. Entrant par le côté conducteur, il poussa Loren et démarra.

Elle le regarda avec étonnement.

— Quelle est l’urgence ?

— As-tu vu l’homme qui vient de sortir ? demanda-t-il en passant les vitesses puis en appuyant sur l’accélérateur.

— Ce n’était pas un homme, mais une femme, avec un manteau de fourrure très cher sur un tailleur-pantalon en cuir. Pitt se dit que c’était bien le genre de choses que Loren remarquait. Le moteur de la Ford gronda et la voiture laissa sur le sol du garage deux marques de caoutchouc tandis que retentissait un horrible crissement. Prenant la rampe à toute vitesse, il enfonça le frein et s’arrêta devant la cabine du garde. Celui-ci se tenait près de l’allée, regardant quelque chose au loin.

— Par où sont-ils partis ? cria Pitt.

— Ils sont passés devant moi avant que j’aie pu les arrêter, dit le garde stupéfait. Ils ont tourné au sud, sur l’avenue. Dois-je appeler la police ?

— Faites-le, répondit Pitt en sortant de l’allée et en se dirigeant vers l’avenue du Washington Mémorial, à un bloc de maisons de là.

— Quelle sorte de voiture ? demanda-t-il à Loren d’une voix tendue.

— Une Chrysler noire 300 M de série 2,5 litres et un moteur de 253 CV. Elle passe de zéro à 80 kilomètres/heure en 8 secondes.

— Tu connais ses caractéristiques ?

— J’y ai intérêt. J’en possède une.

— J’avais oublié, dans la confusion.

— Combien de chevaux a ce machin ? cria-t-elle dans le rugissement du moteur à cylindres à plat.

— Environ 225, répondit Pitt en rétrogradant et en lançant la hot rod sur l’avenue.

— Ils sont plus rapides.

— Pas si tu considères que nous avons presque 500 kilos de moins, dit calmement Pitt en passant les vitesses de la Ford. Notre voleuse a peut-être une vitesse maxi supérieure et une possibilité de virage plus courte, mais moi, j’ai plus d’accélération.

Le moteur modifié à cylindres plats hurla quand le nombre de ses tours/minute augmenta. L’aiguille du compteur approchait les 145 kilomètres/heure quand Pitt enclencha l’Overdrive. Le nombre de révolutions tomba immédiatement tandis que la vitesse dépassait les 160 kilomètres/heure.

La circulation était fluide, ce jour de semaine à une heure du matin et Pitt aperçut bientôt la Chrysler 300 M noire dans la lumière brillante de l’avenue. Peu à peu, il gagna du terrain. Le chauffeur conduisait 30 kilomètres au-dessus de la vitesse limite, mais n’utilisait pas toute la puissance de la voiture. Il tourna à droite dans une rue déserte, apparemment plus attentif à éviter la police qu’à s’inquiéter de la poursuite éventuelle d’une voiture depuis l’immeuble de la NUMA.

Quand la Ford ne fut plus qu’à 300 mètres de la Chrysler, Pitt commença à ralentir, se cachant derrière des voitures roulant plus lentement, essayant de rester hors de la vue de l’autre. Il commençait à se sentir détendu, pensant que son gibier ne l’avait pas remarqué, mais la Chrysler prit soudain un virage serré pour emprunter le pont Francis Scott Key. Arrivé sur l’autre rive du Potomac, il prit vivement sur sa gauche puis tourna à droite pour entrer dans le quartier résidentiel de Georgetown en un virage serré qui fît hurler ses pneus.

— Je crois qu’elle t’a vu, dit Loren en frissonnant à cause du vent froid qui passait autour du pare-brise.

— Elle est douée, murmura Pitt, frustré d’avoir perdu la partie. Il serra le vieux volant en forme de banjo et s’arrêta, faisant tourner la Ford sur 90 degrés.

— Au lieu de filer tout droit à toute vitesse, elle a tourné partout où elle a pu, espérant mettre autant de distance possible entre nous pour pouvoir tourner enfin quelque part où nous ne verrions pas quelle direction elle a prise.

C’était un jeu du chat et de la souris. La Chrysler prenait de l’avance à chaque tournant, la hot rod de soixante-cinq ans regagnant le terrain perdu par une plus grande accélération. Sept blocs de maisons, et les voitures étaient encore à égale distance, sans qu’aucune ne réduise ni n’accentue l’intervalle.

— Voilà autre chose, murmura Pitt en serrant le volant d’un air furieux.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

Il jeta à Loren un coup d’œil en souriant.

— Pour la première fois depuis je ne sais pas combien de temps, c’est moi le poursuivant.

— Ça pourrait durer toute la nuit, dit Loren en s’accrochant à la poignée de la portière comme si elle était prête à sauter en cas d’accident.

— À moins que l’un de nous soit à court d’essence, répondit Pitt en prenant un nouveau tournant.

— N’avons-nous pas déjà tourné autour de ce pâté de maisons ?

— Si.

Enfilant le coin suivant, Pitt aperçut les phares de frein de la Chrysler s’allumer brusquement tandis que la voiture s’arrêtait soudain devant une des maisons de brique d’un bloc bordé d’arbres. Il braqua et vint s’arrêter le long de la Chrysler au moment où le conducteur disparaissait par la porte d’entrée.

— Je suis contente qu’elle ait arrêté la poursuite, dit Loren en montrant la vapeur qui sortait du capot, autour du radiateur.

— Elle ne se serait pas arrêtée si ce n’était pas prévu, dit Pitt en regardant l’hôtel particulier sans lumière.

— Et qu’est-ce que tu fais maintenant, shérif ? On laisse tomber ? Pitt lui adressa un regard rusé.

— Non. Tu vas aller frapper à la porte.

Elle parut sidérée sous la lumière d’un réverbère voisin.

— Ne compte pas sur moi !

— Je pensais bien que tu refuserais… (Il ouvrit la portière et descendit de la voiture.) Prends mon portable. Si je ne suis pas de retour dans dix minutes, appelle la police et préviens l’amiral Sandecker. Au plus petit bruit, au moindre mouvement dans l’ombre, fiche le camp, et vite ! Compris ?

— Pourquoi ne pas appeler la police maintenant et dire qu’il y a un cambriolage ?

— Parce que je veux y aller d’abord.

— Tu es armé ?

Il lui fit un grand sourire.

— Qui a jamais entendu parler de transporter une arme dans une hot rod ? (Il ouvrit la boîte à gants et en sortit une torche électrique.) Il faudra que je m’en contente.

Il se baissa, l’embrassa et disparut dans l’obscurité qui entourait la maison.

Pitt n’utilisa pas la lampe. Les réverbères éclairaient suffisamment pour qu’il trouve son chemin le long de l’étroite allée jusqu’à l’arrière de la maison. Elle paraissait terriblement sombre et silencieuse. D’après ce qu’il pouvait voir, la cour était bien entretenue. De hauts murs de brique couverts de lierre la séparaient des maisons voisines. Elles aussi paraissaient sombres. Leurs occupants devaient dormir.

Pitt était à peu près sûr qu’il y avait un système de sécurité, mais, puisqu’il ne voyait pas de chiens assoiffés de sang, il ne prit aucune précaution particulière. Il espérait que la voleuse et ses complices se montreraient. Alors seulement il commencerait à s’inquiéter de ce qu’il devrait faire.

Arrivé à la porte arrière, il fut surpris de la trouver grande ouverte. Il comprit trop tard que la voleuse était entrée par le devant de la maison et sortie par l’arrière. Il courut vers le garage, au bout de l’allée.

Tout à coup, le silence de la nuit fut brisé par le hurlement du moteur d’une moto. Pitt ouvrit vivement la porte du garage et se précipita à l’intérieur. Les vieilles portes du fond avaient été arrachées de leurs gonds. Une silhouette, en manteau de fourrure sombre sur un pantalon de cuir et chaussée de bottes, était sur le point d’engager une vitesse et de tourner la manette des gaz quand Pitt se jeta sur son dos, l’attrapant par le cou et tombant sur le côté en l’entraînant avec lui.

Pitt sut immédiatement que Loren ne s’était pas trompée. Le corps n’était pas assez lourd pour qu’il s’agît d’un homme et pas assez dur non plus. Ils s’écrasèrent sur le sol de béton du garage, Pitt tombant par-dessus elle. La moto tomba sur le flanc et roula en cercles, le pneu arrière frottant le sol avec un bruit aigu avant que le bouton d’arrêt se coupe et que le moteur s’arrête. La vitesse acquise envoya la moto contre les corps étendus. La roue frappa la tête de la conductrice tandis que le guidon heurtait la hanche de Pitt sans rien lui casser, mais en lui faisant un bleu énorme qu’il allait garder pendant des semaines.

Il se mit à genoux en grimaçant et trouva la torche encore allumée, près de la porte où il l’avait lâchée. En rampant, il la prit et éclaira le corps inerte à côté de la moto. La conductrice n’avait pas eu le temps de mettre son casque et il put voir ses longs cheveux blonds. Il la fît rouler sur le dos et éclaira son visage.

Une bosse commençait à se former au-dessus d’un de ses sourcils, mais il ne pouvait se tromper sur les traits. Le pneu avant de la moto l’avait assommée, mais elle était vivante. Pitt fut tellement stupéfait qu’il en laissa presque tomber la lampe de sa main qui n’avait pourtant jamais tremblé.

Il est prouvé, dans la profession médicale, que le sang ne peut devenir froid à moins qu’on n’injecte de l’eau glacée dans les veines. Pourtant, Pitt eut l’impression que son cœur faisait de son mieux pour faire passer en lui un sang deux degrés en dessous de zéro, il oscilla sur ses genoux sous le choc. L’air du garage parut soudain s’épaissir et se remplir d’horreur. Il avait déjà vu la femme étendue près de lui, inconsciente.

Sans le moindre doute, il était sûr de contempler le visage même de la femme morte qui lui avait accroché l’épaule dans la coque de l’U-boat.

Atlantide
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